Chacun pourra ici constituer une histoire. Sans savoir particulier, pénétrer la force suggestive des pièces proposées, images d’un puzzle à construire.
« La ligne d’horizon remonte et l’océan dont l’écume phosphorescente suit les méandres de la côte, se déploie comme une toile, à perte de vue, d’un gris encore profond, couvert de rides immobiles et parallèles dont les sommets s’éclairent par degré, se teintent peu à peu de rose, en même temps que les cimes des nuages tourmentés, entassés. Certains montent en gigantesques panaches, comme des tours, gonflés d’énormes boursouflures, élevant très haut dans le ciel leurs cimes, qui s’arrondissent en dômes, en grappes de coupoles. L’ombre cruciforme de l’avion se déplace rapidement sur une surface pelucheuse. »
Orion aveugle, Claude SIMON
L’écrivain ? comme le peintre, à partir de sa vision, interroge le regard.
C’est le point de vue de départ : si toute représentation est image, toute image, est représentation. Détourner les dimensions, changer le rapport à la forme.
Ce qui du tableau peut être saillant ; ce qui du volume peut être creux
Gommer la distinction entre les formes. Ce n’est pas un tableau ou un volume, c’est une trace, c’est une empreinte.
Je fais l’hypothèse qu’Orion, ce géant mythologique rendu aveugle, qui recouvre la vue en marchant vers le soleil levant, a un œil, comme on dit « avoir un œil, un regard ». Il s’agit d’un regard qui se développe et s’enrichit de lumière.
La lumière dans les nuées ou la lumière toute particulière dont sont nimbés certains rêves.
C’est l’œil d’Orion qui sert d’entrée dans l’exposition. Il nous prête cet œil qui « recouvre la vue ».
Le récit se déroule ensuite au gré de chacun, selon des obliques formelles et sans perdre le fil onirique jonché de plumes qui nous conduit d’une peinture-sculpture à une peinture dont peu à peu la figuration s’absente.
Je ne cherche pas à produire des effets. Je n’applique pas une recette, la même recette sur chaque toile.
Le processus de création ici n’inscrit pas le geste comme mesure étalon.
Je pars en exploration, je cherche la lumière. Que recèle la matière picturale ? Comment dépasser la figuration ?
La mesure est celle du corps : présence, absence, interrelation, dimension des pièces. Je donne corps à la peinture et prends les volumes à cœur.
Les pièces se répondent les unes aux autres. L’œil navigue de l’une à l’autre, s’évitant une lecture linéaire et littérale, déambulant.
Au fil du récit, au fil des heures.
Se laisser porter à l’évocation du regard, ourlé par les cils d’Orion : l’œil d’Orion nous invite à la poétique de l’image, comme entrée dans un univers, métaphore aussi.